Connaître à présent, le secret :
Une expiration qui vient du ventre, longue, lente, égale et douce mais soutenue de bout en bout, qui se manifeste, se matérialise par le son qui reste identique à lui-même jusqu'à la fin.
Au terme de cette expiration tu t'es trouvé vide. Ce vide, loin de fuir, tu l’as accepté, exploré, gouté, savouré pour en sentir naître de nouveau une inspiration lente, large et puissante qui se fait d’elle-même, qui est la réponse, la récompense de l'expiration qui l'à précédée.
Tu as appris, tu connais cet autre secret, la patience, tu sais attendre sans colère, sans effroi et demeurer sans peur et calme. Vide, vide de toute crainte et confiante.
Le calme, la paix goûtés ne peuvent se décrire, pas plus que la force tranquille ressentie et remontant au plus profond de sol. On éprouve, avec ce chant dans lequel on entre si doucement, une telle sensation de bonheur que l'on ne voudrait jamais s'arrêter.
Il ne s'agit pas d'une gymnastique ni de quelconques exercices mais bien de la pratique d'un art.
Décrire l'enfantement serait le comparer à la traversée d'une tempête, un raz de marée, un typhon ou encore une tornade serait plus près de la vérité.
Laissons de côté les mots, «travail, douleurs, contractions, dilatation... », parlons de vagues et ces sensations, qui viennent et se calment, pour revenir de nouveau, reprendre plus fortes, plus longues... ne sont elles pas comme la houle qui se creuse annonçant un gros temps?
Or face à la tourmente que faut-il faire ?
Tel un capitaine, rester calme, faire face... Ou perdre la tête et fuir, terrorisé par la hauteur des vagues, pris de panique, déserter le pont.
Ne rien savoir de l'orage, fermer les hublots, se mettre des bouchons dans les oreilles et hurler plus fort que le vent?
Laisser dériver le bateau livré à lui-même...courant tout droit vers les récifs pour y faire naufrage...?
Ou au contraire, Être maître de soi même, faire face, rester sur le pont donnant les ordres nécessaires, faire ramener les voiles ne conservant que ce qu'il faut pour tenir le cap.
Les vagues bientôt sont hautes comme des montagnes, leurs démesures certes impressionnent, sentir aussi la puissance du vent enivrant.
L'œil aux aguets, passionnément attentive, la main légère mais attentive sur la barre, percevoir la moindre impulsion du vent pour leur répondre immédiatement.
Le vent, les voiles ne sont autres que le souffle.
Le mât, les cordages, la colonne vertébrale et le dos.
La boussole, le son.
Dans l'obscurité hurlante et démente, le son devient le seul soutien, le guide, le gouvernail, le phare.
La mer déchainée est terrible, elle fait trembler les plus braves.
Ne pas se nourrir d'illusion car les mots sont vite mal compris.
Par accouchement sans douleur, par naissance sans violence comment peut ont mettre son enfant au monde sans rien sentir... comme si un tremblement de terre pouvait se faire en douceur
En vérité, c'est un cataclysme, une mise à l'épreuve.
Comme l'acier on en ressort trempé, Autre, Indestructible, Invincible.
Ne pas s'étonner que ce soit effrayant comme tout ce qui est Noble et Grand.
Le travail à commencé, la tempête s'est levée.
Arrive une contraction, une vague. Une autre suivra, une autre encore...
Ne pas tourner le dos à la contraction, ne pas fuir mais, telle une chasseresse, la suivre, la sentir, l'accueillir....
Le ventre se contracte, se durcit et comme diminué et rétrécie...Simplement suivre le mouvement en expirant.
C'est à ce moment que l'on récolte le fruit d'un long travail de patience sur la respiration, que l'on perçoit toute la maîtrise... se sentir vide, précipitée, avalée, absorbée... ce vide on le connait si bien, heureuse de l'avoir rencontré dans le chant, dans le son et appris à rester vide. Imperturbable de sorte que, maintenant loin de céder, de paniquer, indifférente... rester vide. Attendre...
Si on ne l'avait pas si souvent rencontré, affronté, gouté, savouré ce vide, perdant la tête de temps en temps, on aurait cédé à la tentation ! On aurait repris de l'air avec précipitation pour le rejeter tout aussi bruyamment, brutalement peut être en poussant des hurlements. Le cri soulage, dans une certaine mesure car c'est aussi une expiration. Mais c'est l'air pris avec la poitrine et souvent à contre temps. Avec la poitrine car on pense ne pas pouvoir le prendre autrement, le ventre étant prisonnier de la contraction et à contretemps car au lieu d'accepter, de faire sienne cette contraction, par le cri l'on tente de la rejeter, de lui dire « NON » !
On est rentré dans la lutte au lieu d'aller dans son sens, de couler avec elle, d'en épouser son rythme. On lutte et se bat contre elle... bataille perdue d'avance.
Ce cri qui à si mal soulagé, on serait tenté de le recommencer. Reprendre de l'air avec la poitrine et toujours à contre temps!
Mais non ! Heureuse et loin de perdre la tête, de retomber dans le piège de se laisser troubler par ce vide, imperturbable, guettant intensément la fin de la contraction, l'instant ou le ventre se détend, Alors seulement c'est le moment de lâcher la bride, de rendre libre cours à la respiration. Ressentir cet air entrer en soi, nous remplir, nous submerger et nous inonder divinement.
Du tréfonds de l'abîme, au sommet de la joie. Que craindre encore !
Accueillir la prochaine vague, plonger avec ivresse, couler en elle car on sait qu'en se vidant, en expirant tel un plongeur au fond de l'océan on part à sa rencontre, la prendre par la main. Parcourir de nouveau le chemin ensemble vers la lumière.
Avec délicatesse et fermeté laisser couler le son, infini, fluide et délicat. Comme une caresse à la douleur... lui dire « Chut !! » doucement, doucement, je suis là, je t'accompagne... jusqu'à la fin...que la contraction soit terminé, que le ventre soit relâché.
En vérité on sait que l'on a rien fait, que cela s'est fait pour nous, à travers nous... Que le corps sait.
Simplement suivre le mouvement, s'abandonner, consentante à ce rythme souverain de la danse.
Texte tiré du livre de Frédéric le Boyer <<< Cette Lumière d'où vient l'enfant >> édition du Seuil.